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PRUD'HOMME

PRUD’HOMME

La justice de classe et ses collaborateurs « ouvriers »

jeudi 1er juillet 2010, par Jean Charles Louvrier


Petit point d’histoire, il nous est souvent ressassé par les apôtres intéressés du « mouvement social », que le tribunal des prud’hommes est un acquis des travailleurs ou tout au moins dans sa version moderne. Institution née au cours du moyen âge, avant même la reconnaissance des syndicats qui interviendra beaucoup plus tard, elle traverse l’histoire sous les bons auspices des affaires du commerce ; dans les années 1800, la création de conseils de prud’hommes impliquait encore une demande d’avis auprès des tribunaux de commerce puisque cela intéressait les conflits pouvant naître entre les maîtres de corporations.

L’institution des prud’hommes, c’est d’abord et avant tout des actes juridictionnels visant à régler les conflits individuels du travail et reposant depuis toujours sur l’idée d’assurer la paix sociale sans laquelle la production des marchandises, objet de commerce, ne peut atteindre toute l’amplitude que lui autorisent ses moyens.

La règle première toujours en usage, dite de la « conciliation », est le fondement sur lequel continue d’évoluer l’institution. L’évolution juridique du prud’homme reste de l’effet de la loi et jamais de la mobilisation collective des travailleurs, étant entendu que les grandes révoltes sociales et leurs apaisements guident toujours la pensée du législateur bourgeois comme elle arme son glaive.

Le paritarisme est un fondement moderne de l’idéologie bourgeoise accompagnant l’apparition puis la domination de l’impérialisme. La toute puissance du capital financier, propice à la collaboration de classe, transforme les syndicats en institutions au service de l’association capital-travail où la paix sociale dans les nations impérialistes, se paye au prix du sang, et de la misère du prolétariat des pays les plus pauvres de la planète. L’évolution de cette juridiction emblématique de l’organisation paritaire sur le plan du fonctionnement et des rapports sociaux est attachée à la transformation économique du capitalisme où à la petite production succède la grande industrie qui ne peut prospérer, dans son approche moderne de la gestion des rapports sociaux, sans que soit brisé préalablement le règne sans partage du paternalisme qui prévalait dans les petites unités de production reposant sur les corporations de métier et où sévissait la pire exploitation, où, à la concurrence que les travailleurs se font entre eux, s’ajoutait la division néfaste d’appartenance à la corpo.

Les élections des prud’hommes revêtent cette année un caractère particulier directement lié au dernier texte signé sur la représentativité syndicale. Pour acquérir cette représentativité à l’échelle nationale, les organisations prétendantes devront avoir recueilli à ces élections 8 % puis 10 % des suffrages pour pouvoir prétendre être élevées à la dignité de négociateurs consuls.

L’importance que lui accorde l’ensemble des organisations réformistes de collaboration de classe, par leur campagne, met en évidence que la « démocratie sociale », qui leurs est chère, se construit inévitablement sur l’abandon des principes du syndicalisme de lutte de classe économique, que télescope, au grand dam de ceux qui en font confession, une notion de masse, concept interclassiste néo-réformiste.

Ici, c’est l’avenir du syndicalisme juridique (pour reprendre le bon mot de certains sociologues) qui se joue. A la reconnaissance que les travailleurs accordent à leurs représentants, directement désignés à la base, se substitue celle des compétences par la spécialisation dans le domaine de l’action juridique. Les travailleurs ne sont plus acteurs dans l’amélioration de leurs conditions mais clients de la représentation syndicale.

C’est ce qui donne tout son sens aux campagnes de propagande soutenues cette année par les organisations syndicales traditionnelles et relayées médiatiquement par les spots gouvernementaux. Elles mettent en évidence les résultats positifs obtenus par leur investissement à outrance dans la défense individuelle juridique des salariés, reléguant ainsi au musée des conceptions anciennes, déclarées archaïques, la nécessité de l’action collective et de la construction préalable des rapports de force qu’elle impose.

Ainsi donc, sur les bases de la promotion des concepts d’un syndicalisme de collaboration de classes, cette campagne fait grandement état de la réussite des actions procédurières ayant trait à la violation des textes en vigueur et principalement ceux désignant les licenciements individuels « injustifiés » au regard du droit social bourgeois et des indemnités conséquentes parfois obtenues, qu’elles se soient conclues positivement ou non sur la réintégration du salarié-e [1]. Les travailleurs savent que revenir à la boite dans une ambiance où le tôlier reste, lui, le maître des lieux, c’est immanquablement signer pour des années de soins anti-dépressifs …

Faisant valoir tout un argumentaire qui plaide en faveur de la défense juridique des particuliers, ces marchands du temple syndicaliste d’accompagnement, bedaine au vent, attaché-case sous le bras, n’ont d’autre recours que d’égrainer un à un ces milliers de cas où le simple quidam salarié s’est fait reconnaître dans ses droits les plus élémentaires de « justice sociale » (comme les versements de salaire ou d’indemnités non perçus), pour défendre leurs camelotes idéologiques pas très nouvelles quant au fond.

Ces micros résultats, qui lient les mains des travailleurs et étouffent la conscience collective ne sont que vanités des vanités …

Dans tout le fatras des arguments superficiels réformistes des défenseurs du recours aux procédures juridiques, nous trouvons, cerise sur le gâteau, la victoire remportée sur le CNE. En effet, le point de départ est une décision en avril 2006 des prud’hommes de Longjumeau constatant que « l’ordonnance du 2 août 2005 instituant le contrat nouvelle embauche était contraire à la Convention 158 de l’OIT… » ce qui requalifiera le CNE en contrat à durée indéterminée.

Les directions syndicales se gardent bien de souligner que le CNE avait été bâti sur un tel flou juridique qu’il était assez facile de prévoir les désordres sociaux qu’il allait engendrer… Il était à un tel point si anti-conforme au droit du travail bourgeois international que les cabinets conseils en recrutement, flairant la manne, en faisaient leurs choux gras devant les employeurs intéressés mais également circonspects … parce qu’une brèche ouverte dans l’arsenal des contrats précaires aurait pu se révéler être un risque de réveil de l’action collective contre la précarité organisée sur lequel prospère l’exploitation la plus éhontée.

Nouvelle Jérusalem du syndicalisme réformiste, le concept de démocratie sociale prospère sur le respect des « valeurs républicaines » principalement celles autorisant les grandes révérences aux droits bourgeois, il est entretenu essentiellement par la représentation petite bourgeoise salariées moderne, radicalisée mais toujours hésitante. Ce concept prolifère sur les cendres encore chaudes d’un syndicalisme de lutte de classe économique qui rechigne à céder la place à la prise de conscience de l’inévitabilité de l’étape politique de défense des intérêts fondamentaux de la classe ouvrière et des couches de travailleurs les plus pauvres comme l’avenir de la prise du pouvoir de l’ouvriers sur le bourgeois.

La bourgeoisie a toujours su trouvé dans le mouvement social ses serviteurs jaunes, du permanent appointé au militant idéologiquement intoxiqué, pas même capable du service minimum de solidarité internationale qui voudrait, du point de vue de la représentativité « effective » que le travailleur immigré électeur, piégé, reçoive aussi le statut d’être éligible à cette juridiction internationalement d’exception.

Quant au personnels des syndicats institutionnellement intégrés, la justification de leur présence n’est que dans la continuité et la promotion du réformisme qui offre des compensations à ne pas négliger, parce que selon la formule générale qui lui est consacrée : le mouvement est tout et le but final [2] n’est rien… à leurs yeux.

L’élection des prud’hommes par le suffrage universel s’appuie sur la confiance de la bourgeoisie française en la démocratie sociale, c’est-à-dire sur la capacité éprouvée des syndicats intégrés à contenir les luttes des travailleurs dans les limites de l’acceptable pour elle. L’élection au suffrage universel des juges, salariés et employeurs… qui n’ont de compte à rendre qu’à leurs pairs, jugeant finalement en dernière analyse de la bonne conduite des travailleurs mais aussi de celle des employeurs, classés en bons ou mauvais patrons, participe des stratagèmes de camouflage de la dictature de la bourgeoisie au même titre que les élections de la représentation politique nationale où ici le citoyen, là-bas le salarié doit choisir entre des représentations qui ont fait serment à la constitution bourgeoise dans le respect de sa légalité codifiée civilement et socialement formant le socle des valeurs républicaines de la bourgeoisie.

Ouvriers, ouvrières, travailleurs (es) des couches sociales les plus pauvres, les conseillers prud’homaux ne sont pas vos défenseurs, ils sont vos juges sur la base du droit du travail bourgeois codifié dans les livres, réglant et pérennisant la relation employeurs salariés dans le cadre de la légalité bourgeoise, sur la base d’une prétendue démocratie sociale qui masque la domination d’une classe sur une autre.

Ainsi, les textes de cette institution révèlent que :

- les conseillers prud’homaux peuvent aussi être saisis par les employeurs contre un salarié ou un groupe de salariés ce qui en fait un outil supplémentaire aux moyens financiers dans l’arsenal des textes de législation sociale et civile déjà à leur disposition pour imposer leur domination.

- les conseillers prud’homaux reçoivent le statut de magistrat non professionnel, prêtent serment et restent soumis au secret des délibérés… donc libérés d’avoir à rendre compte à leur mandant.

- les conseillers prud’homaux ont d’abord pour mission de faire aboutir une conciliation cherchant à apaiser, sous couvert de rendre la justice, les antagonismes de classes qui opposent bourgeois, prolétaires et autres couches de travailleurs.

Etc.

Il est par ailleurs intéressant de noter que ces conseillers délibèrent dans la parité, représentants salariés, représentants employeurs, sur tous les dossiers ; que les décisions de jugement imposent la majorité absolue ce qui implique nécessairement qu’au moins un membre des représentations se range pour la partie « adverse » et qu’en cas de statut quo force revient au droit bourgeois puisqu’ils se voient adjoindre un magistrat professionnel dit juge départiteur provenant des tribunaux d’instance.

Depuis déjà quelques temps, crise économique aidant, parce que n’épargnant aucun secteur de l’économie, nous assistons au réveil de la représentation des couches sociales petites bourgeoises, principalement agissantes à l’extrême gauche, campant la légitimité des méthodes d’action de mobilisation générale du salariat sur les bases de lutte de classe économique (que la bourgeoisie elle-même reconnaît, avertie des antagonismes de classe qui traversent la société) sans les mener jusqu’à l’essentiel, leur subordination à la lutte de classe politique, sous direction de l’avant-garde ouvrière.

Conséquemment, nous observons cette représentation, le postérieur entre deux chaises, se garder, par opportunisme [3], d’afficher des préférences ou de se démarquer sans ambiguïté de l’institution et ce malgré quelques critiques acerbes gardant la voie paisible de la neutralité utile…

Parce qu’il n’est pas d’îlots de justice équitable, fut-elle rendue par des représentants « ouvriers » anesthésiés dans une société divisée en classes…

Parce que l’action dans le respect du droit social bourgeois n’est pas la condamnation sans concession de l’exploitation de l’homme par l’homme…

Parce que seule l’action collective des travailleurs reste, dans le provisoire, susceptible de dépassement du droit lui-même.

Enfin, parce que ne voulant pas agir à la promotion de ce qu’il est convenu d’appeler la « démocratie sociale », masque sous lequel s’impose la soumission de notre classe à l’ordre social bourgeois… Le groupe des ouvriers communistes appelle la classe ouvrière et l’ensemble des travailleurs des couches sociales les plus pauvres à l’abstention, à ne pas apporter une seule voix à la représentation syndicale de collaboration de classe, négociateur des reculs des droits sociaux.

Avant-garde.

[1] Il en est ainsi des requalifications des contrats précaires en CDI pour renouvèlements abusifs mais dans les faits quasiment jamais effectives. [2] Pour peu qu’il y en ait un au syndicalisme tout azimuts y compris celui de la charte d’Amiens. [3] Soit pour des raisons de stratégie liées à l’entrisme, version pénétration des organisations syndicales réformistes, pour y défendre et y développer des courants dits de lutte de classe et de masse, soit pour ne pas à avoir trop à se couper de la clientèle salariée du réformisme.




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