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LES FRONTS SYNDICAUX

LES FRONTS SYNDICAUX

jeudi 8 avril 2010, par Avant Garde


Les répercussions économiques, politiques et sociales de la crise sont mondiales. L’ensemble des couches sociales du salariat est touché par la réorganisation des productions à l’échelle planétaire et les bras financiers des multinationales, les banques imposent leur volonté. Un sentiment d’impuissance domine dans les larges masses de travailleurs soumis aux vicissitudes des économies nationales. Les conséquences sur nos conditions de vie sont terribles mais de plus varient profondément suivant que l’on est travailleur vivant dans les nations impérialistes ou alors travailleur des pays du monde, véritables parias, soumis à la domination de ces dernières.

Dans ces conditions économiques « nouvelles » où s’exacerbent toutes les contradictions inhérentes au système capitaliste impérialiste, incluant aussi celles, en marge, qui voient s’opposer les différentes factions à l’intérieur des syndicats, il est donc logique que l’on retrouve à la pointe des luttes les travailleurs des industries aux dimensions de production extraterritoriales comme ceux de l’automobile et de ses industries connexes.

enfant métallurgiste bangladesh De même, aux vues de leur présence massive dans les cortèges des manifestations, c’est aussi l’ensemble des personnels dit du secteur public qui à leur tour deviennent les victimes des restructurations mondiales de l’économie, « les gouvernements modernes n’étant que des comités qui gèrent les affaires communes de la classe bourgeoise toute entière » [1] Cette gouvernance mondiale se réalise aujourd’hui dans les différents sommets des grandes puissances et contrôle les économies de la planète.

Sur fond de rivalités inter impérialistes entraînant de plus grandes concentrations du capital, les états procèdent à des fusions organiques (à l’exemple de la CEE) et cherchent à se libérer plus ou moins de leurs entraves économiques, politiques, et sociales « anciennes » de pays « souverains ». Une nouvelle organisation sociale se tisse et qui correspond aux nouveaux modes d’organisation économique : à concentration du capital, concentration des moyens politiques de domination de la bourgeoisie.

Dans le monde du salariat, de tels bouleversements ne pouvaient que donner lieux à des replis d’appartenances identitaires de certaines catégories attachées au parlementarisme social structuré « dans » la nation, renouant plus ou moins avec les attitudes rétrogrades des corporatismes anciens, faisant émerger toutes sortes de « nouveaux » regroupements se réclamant de la lutte des classes et de masse ; trouvant leur point d’encrage idéologique au sein même des organisations syndicales traditionnelles.
Déclarant fermement leur opposition de principes aux directions réformistes et tout droit sortis des rangs de l’aristocratie ouvrière et de la petite bourgeoisie salariale, ils animent sur Internet, blogs et sites web aux appellations de lutte de classe « les plus prometteuses ». Sur le terrain et sur la toile foisonnent bon nombre de ces « nouveaux combattants de la lutte des classes » dont le « radicalisme » ne sert qu’à redorer le blason d’une CGT moderne trop compromise.

Purs produits de la dégénérescence du syndicalisme traditionnel dit d’accompagnement dans lequel ils ne trouvent plus de réponses à leurs angoisses, ils apparaissent comme incapables d’imaginer un autre avenir que dans le cadre des « conforts sociaux » que procure l’appartenance à une nation dominante. C’est donc sans aucune retenue qu’ils se rendent les complices, conscients ou inconscients, de leur propre bourgeoisie coupable à leurs yeux de mener de « mauvaises » politiques industrielles préjudiciables à la nation.

Les plus chauvins distillent le venin nationaliste dans les masses, l’ennemi désigné est devenu la ou les puissances étrangères pratiquant le « dumping social », formule des plus ambiguës derrière laquelle se cache autant de peur de la concurrence du travailleur « étranger », dénoncé comme une nouvelle tare et généralement associée à la construction Européenne bien qu’historiquement il accompagne le développement du capitalisme dans le monde depuis ses origines.

En cas d’espèce, le « Front Syndical de Classe ». Un premier coup d’œil sur l’article 1er des statuts de cette association, et l’on nous fait entrer de suite dans la danse…
Extrait :
« Depuis sa naissance en 1957, l’Union Européenne capitaliste a multiplié la mise en place de structures permettant de piloter une construction supranationale toute entière dédiée au service des grands groupes capitalistes, de la casse des acquis sociaux et des souverainetés populaires. »

Revoilà la défense de la souveraineté nationale (ici rebaptisée, en finesse de langage, souverainetés populaires) intérêt national et valeurs patriotiques etc.
Tout un fatras d’idées réactionnaires qui dans le passé n’ont servi en définitive qu’à river le destin des prolétaires de la planète à celui de leur propre bourgeoisie, les meilleurs militants ouvriers politiques et syndicaux du début du siècle et avant eux avaient compris cette leçon …
Rappelons avec eux que c’est au nom de ces valeurs de culture bourgeoise servant d’étroits intérêts, que se comptent par millions ces prolétaires de la ville et des champs qui sont allés remplir les charniers des guerres coloniales, fratricides pour notre classe et autres tranchées des guerres impérialistes mondiales ; tombeaux à ciel ouvert dans lesquelles ils mouraient en soldats inconnus. C’est au nom de ce « Sacrifice » que la bourgeoisie française entretient annuellement la flamme… sait-on jamais ? « La guerre étant une simple continuation de la politique par d’autres moyens » [2] et de se rappeler aussi « que c’est avec les pauvres que les bourgeois se font la guerre » [3] .

ouvriers dubaï "Les ouvriers n’ont pas de patrie" écrivait Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste, ajoutant très justement, comme nous venons de le voir ici, que c’était au grand désespoir des réactionnaires que la bourgeoisie enlève en permanence à l’industrie sa base nationale.
Cette réalité est encore plus profonde aujourd’hui car elle est vécue par des millions de prolétaires dans le monde ! Tous voient leur destin de démunis s’entremêler par delà les frontières. Nous subissons tous et toutes les volontés d’une classe bourgeoise parasitaire et internationalisée faisant tomber en désuétude la notion même de souveraineté nationale qui la met économiquement à l’étroit, l’étouffe à l’intérieur de ses marchés nationaux et cela depuis déjà des lustres.

En conséquence, la classe ouvrière de France se trouve aujourd’hui tout aussi à l’étroit dans ses combats sociaux et déjà bien suffisamment morcelée dans la nation (entretenu à dessein par les directions des organisations syndicales de collaboration de classe). Si elle veut vaincre, elle doit apprendre aussi à rejeter à son tour toute idée de repli identitaire et à faire taire toute sirène voulant lui faire entendre les vieux refrains du chauvinisme qui la rendrait impuissante et plus divisée encore devant une organisation de son exploitation qui s’internationalise à grande vitesse.

Comme une infamie ne vient jamais seule, c’est avec le mot d’ordre de "produire en France", rappelant le tristement célèbre "produisons français "du PCF de la fin des années 70, que ces gens tentent de pénétrer la classe ouvrière profitant du désarroi que les licenciements, le chômage et les délocalisations produisent chez les travailleurs.
Les sentiments de chauvinisme national sont, sur le plan des idées et des actions qu’ils suscitent, une des meilleures armes de l’idéologie bourgeoise dominante, importé dans la classe ouvrière par des lieutenants que l’histoire de la lutte de classe nous a déjà appris à reconnaître. Ces Idées des plus réactionnaires ont encore prises dans les masses et la première de leurs conséquences est bien connue : désigner l’étranger coupable de tous leurs maux.

Autre extrait d’une déclaration du « Front Syndical de Classe » à propos des travailleurs du groupe Total en lutte contre les licenciements.
« Les Total de Dunkerque (ou les Philips de Dreux) ont le grand mérite de porter le fer dans la logique capitaliste et de ne pas rentrer dans le jeu « de la prime à la casse ». Leur volonté de sauver l’outil de travail et leur emploi place le combat sur un enjeu de classe fondamental : la sauvegarde du produire en France donc l’avenir même du pays alors que les grands groupes capitalistes sont en train de le désosser. Les aider à gagner ce combat, c’est contribuer à inverser enfin la logique capitaliste qui a entamé depuis trop longtemps la ruine pour la France et son peuple. »

Voilà une interprétation totalement abusive de la volonté de ces ouvriers et d’autres salariés décidés à en découdre, pour la défense de leur emploi, pour ne pas voir leurs conditions de vie et de travail se dégrader, le tout passant pour pertes et profits de restructuration de l’appareil de production des entreprises qui les exploitent.
Ce propos de pure manipulation intellectuelle passe sous silence que ce réflexe de lutte n’est pas l’apanage des seuls prolétaires et autres catégories des travailleurs de France. La mise en concurrence des travailleurs à l’échelle planétaire implique des réactions similaires partout dans le monde, car c’est bien partout dans le monde que la classe ouvrière réagit, souvent avec l’énergie du désespoir, contre des spoliations identiques. L’exploitation capitaliste est la même partout, seuls quelques acquis sociaux viennent faire une différence qui ne changent rien à l’affaire et qu’il nous faut défendre ici contre l’acharnement patronal. Ces acquis se payent aujourd’hui bien plus qu’hier grâce aux plus valus que nos grandes industries tirent à l’étranger, en nations dominées économiquement. C’est pour cette raison que nous devons impérieusement revendiquer les mêmes règles pour nos camarades à l’étranger dans nos entreprises communes et elles sont nombreuses, de Total à Bouygues, d’EDF à Areva, Alcatel etc. En lieu et place des revendications de l’interdiction des délocalisations et autre rapatriement de la sous-traitance locale ou internationale, les travailleurs doivent lutter en plaçant en tête de leurs cahiers de revendications :

L’application à toutes et à tous, partout dans le monde, du statut salarial le plus avantageux pour tous les travailleurs des unités d’un même groupe industriel et de ses entreprises sous-traitantes.

Il faut maintenant que les travailleurs s’organisent afin de créer les contacts nécessaires en vue des mobilisations communes et en même temps.

Les ouvriers instruits de leur histoire savent qu’une classe ouvrière qui gagne c’est une classe ouvrière qui a pris le chemin de son unité et rien ne doit venir brouiller l’invariabilité du recours à ce principe qui doit devenir une ligne de conduite internationalement partagée par toutes les fractions de la classe ouvrière, dépassant les réflexes intellectuellement infantiles du chauvinisme (comme celui de la revendication politique du produire nationale).

La classe ouvrière n’est forte qu’unie par delà les frontières.
Toutes expressions de chauvinisme nationale exprimées ici et là dans les contenus des cahiers de revendications économiques ou politiques servent concrètement les intérêts de la bourgeoisie.

Dans un système économique mondial totalement dominé par les grandes puissances capitalistes impérialistes, les fractions nationales de la classe ouvrière et les couches les plus pauvres des populations asservies du monde ne détiennent pas la moindre parcelle de pouvoir économique et politique.
Dépouillées de toutes prérogatives, aucunes responsabilités des conséquences des choix politiques économiques de la bourgeoisie internationale ne nous échoient. N’est acceptable pour elle, qu’une revendication dont elle pourra en faire assumer le coût sur d’autres contingents de travailleurs, ailleurs. En conséquence, toute revendication visant à « favoriser » telle ou telle fraction nationale des exploités, ne peut donc que rendre notre classe économiquement et politiquement plus dépendante encore des intérêts de la bourgeoisie. Marx écrivait «  La bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes les ouvriers modernes, les prolétaires. » [4]. Aussi, avec le marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère toujours plus universel à la production capitaliste hâtant le moment de sa disparition, ce qui donne plus encore de résonance à cette universelle vérité, les ouvriers n’ont pas de patrie !

La première des particularités de l’économie du capitalisme moderne, c’est le marché mondial :
- « les nouveaux patrons » : Fonds monétaires, les banques nationales ou privés et leurs réseaux transnationaux.
- la dissémination planétaire des productions, le besoin accru d’accès aux matières premières de territoires lointains… rend impossible tout retour en arrière dans le cadre du système actuel.

Les unités de production qui par le passé s’organisaient dans le cadre étroit des nations, ont cédé la place à une dispersion extra territoriale accompagnée de restructurations dont l’objectif reste, lui, le vieux et permanent besoin de concentration du capital. Cette « nouvelle donne » met à mal les acquis sociaux, et conduit ici et là à des réductions d’effectifs, voir des disparitions complètes d’unités de production et cela non seulement à l’intérieur du cadre national natif d’une industrie mais aussi dans tous les endroits du monde où elle a « pied-à-terre », scellant en un même destin toutes les populations laborieuses du monde industrialisé.

ouvrière textile chinoise Revendiquer de « produire français » aboutit entre autre …
- à soutenir son propre impérialisme face aux visées expansionnistes des autres grandes puissances…
- à diviser artificiellement la classe ouvrière internationale.
- à inviter les travailleurs à des pratiques d’une collaboration de classe honteuse.

« Produire français » c’est aussi accepter d’entrer dans le jeu de la concurrence que se livre les entreprises (multinationales ou pas) et donc dans celui aussi des sacrifices que cela suppose pour les travailleurs au titre de la performance économique.

Revendiquer de « produire français » implique nécessairement l’association capital/ travail, faisant entrer la classe ouvrière dans un jeu de dupe à tous les niveaux, économiques, politiques et sociaux. Le prolétaire n’est pas propriétaire de son outil de production et encore moins des marchandises qu’il fabrique et ce sort là, il, elle, le partage avec ses compagnons d’infortunes de tous les endroits de la planète placés de façon identique devant leur propre exploiteur aujourd’hui souvent les mêmes.

Pour toutes ces raisons et plus encore, revendiquer de « produire français » est un mot d’ordre du social chauvinisme exprimant le pire de la collaboration de classe. C’est une revendication totalement étrangère aux intérêts immédiats et fondamentaux de la classe ouvrière et des couches sociales les plus pauvres n’ayant rien à perdre que leurs chaînes.


1 Marx, Friedrich Engels : Manifeste du parti communiste
2 Clausewitz (1780-1831) Général et théoricien militaire prussien.
3 Louis BLANC (1811-1882) écrivain journaliste socialiste
4 Marx, Friedrich Engels : Manifeste du parti communiste




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